Note de Lecture n°24 « Voyager moins loin pour voyager bien »
de Nathalie Schneider
Nathalie Schneider journaliste canadienne et reporter spécialisée dans le plein air et le tourisme d’aventure. Elle a dirigé le magazine « Géo Plein Air » pendant 15 ans et compte à son actif un très grand nombre de reportages de terrain : treks, descentes de rivière, traversées océaniques, cyclotourisme. Elle est chroniqueuse plein air à la radio de Radio-Canada (« Les éclaireurs ») et collabore entre autres aux magazines « Espaces » et « L’Escale nautique ».
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Publié le 05/11/2022
Cette année, le secteur du touristique a retrouvé près de 60 % de son niveau d’avant la pandémie, selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) : « Le moment est venu de repenser le tourisme, la direction qu’il prend et son impact pour l’humanité et pour la planète », dit l’Organisation des Nations unies en écho à ses recommandations de 2020 : « La durabilité doit être la nouvelle norme du tourisme », insistant sur les conséquences de l’industrie sur les changements climatiques, surtout du fait des transports. Certes, ça ne date pas d’hier que les acteurs du milieu s’interrogent sur les meilleures pratiques à adopter pour limiter leur impact environnemental. Une préoccupation partagée par les voyageurs : en 2019, on a vu émerger en Europe et en Amérique du Nord le phénomène du flygskam (ou flight shame), la « honte de prendre l’avion », en suédois. Preuve que le message commence à être entendu à la fois par les entreprises spécialisées et par les consommateurs. Alors, comment intégrer la durabilité dans les comportements ?
Objectif sobriété
Certes, le voyageur peut bien compenser son empreinte carbone (près de deux tonnes de CO2 pour un aller-retour Montréal – Paris, soit environ 50 $ à investir dans des projets de protection environnementale ou de reforestation), mais acheter des crédits carbone relève de l’acte volontaire et ne peut être une solution à long terme. Celle-ci réside plus sûrement dans la sobriété, car le voyage le plus carboneutre est encore celui qu’on ne fait pas. « Refuser » est d’ailleurs le premier principe des « 4 R » mis de l’avant par le collectif français Voyager autrement, suivi des trois autres : « réduire » (voyager moins souvent), « remplacer » (opter pour la motricité humaine, par exemple) et « recycler » (choisir des modèles d’affaires socialement acceptables : coopératives, entreprises mutualisées, etc.). À l’instar de la consommation responsable, le touriste de demain sera aussi bien avisé de privilégier l’achat local, c’est-à-dire le recours aux entreprises québécoises. Durant les deux dernières années — pendant lesquelles le tourisme international a été très ralenti —, les Québécois ont été très nombreux à prendre leurs vacances en Gaspésie ou sur la Côte-Nord, par exemple, où les acteurs touristiques de qualité ne manquent pas.
Cette tendance à privilégier le tourisme domestique est l’une des avenues préconisées par l’OMT pour soutenir les entreprises locales, pérenniser les emplois (au Québec, un emploi sur 10 est lié au tourisme) et restaurer les bienfaits sociaux apportés par cette activité. C’est tout le propos du long-métrage Résonances, produit par Vaolo, la plateforme collaborative à l’attention des voyageurs soucieux de leur impact sur la planète et mise en ligne gratuitement en septembre dernier. Son message : le dépaysement est possible, même au coin de la rue. Hébergeurs et acteurs passionnés en tourisme y démontrent l’extraordinaire pouvoir d’attraction des régions du Québec et les expériences uniques qu’on peut y vivre. À travers le témoignage de quatre explorateurs Vaolo qui partent à la rencontre d’entrepreneurs en tourisme se dessine peu à peu une réflexion sur le rôle du voyage : tisser des liens puissants par des rencontres marquantes, (re) découvrir son territoire, garder son regard ouvert et émerveillé sur ce qui nous entoure. « On voulait aller voir le vrai monde, pas forcément les plus beaux sites en région, explique Matt Charland, le réalisateur du documentaire et lui-même avide voyageur. On avait envie de revenir aux racines, à l’essentiel, à l’humain. » Encore faut-il que ces entrepreneurs aient les moyens d’amorcer une transition vers des pratiques durables et responsables : efficacité énergétique, gestion des déchets, respect du milieu naturel, présence de bornes électriques pour autos, vélos et motoneiges, etc.
Des outils à prioriser
Les deniers outils publics ne manquent pas pour soutenir cette transition, notamment de la part des gouvernements fédéral, via Développement Économique Canada pour les régions du Québec, et provincial, avec le Fonds d’action québécois pour le développement durable. Rien que son plan Destination durable et action concertée mis en place cette année inclut une enveloppe de 10 millions de dollars. « Mais ce financement concerne seulement des appels de projets, précise Jean-Michel Perron, cofondateur de Tourisme durable Québec. On risque ainsi de passer à côté des actions nécessaires à poser pour nos entreprises déjà existantes. » Pour cet expert en tourisme du futur, l’instauration d’une application simple et gratuite est nécessaire pour aider les entrepreneurs à mesurer leur empreinte carbone. Idem pour la gestion des flux touristiques : « Le surtourisme, ça ne concerne pas seulement une place populaire en Italie, ça peut aussi valoir pour un parc national d’ici », dit-il. À cet égard, on peut s’étonner que les parcs nationaux n’aient pas encore mis en place des navettes gratuites au départ des grands centres urbains, comme on le voit en Scandinavie, par exemple. Mais, pour Jean-Michel Perron, c’est l’instauration d’une certification nationale, reconnue par l’organisme indépendant Global Sustainable Tourism Council, qui est capitale : « Il y a tellement de certifications et de labels sur le marché, regrette-t-il, ça prend un audit externe pour s’assurer qu’on ne soit pas dans le greenwashing ! » Un outil qui s’avère plus que jamais nécessaire à l’ère du retour du tourisme de masse.