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Note de lecture n°24 « Le tourisme français lance son opération de « reconquête »

portrait de Clément Guillou

 

par Clément Guillou

Rédacteur service économie, tourisme / hôtellerie Quotidien Le Monde

 

 

 

https://www.lemonde.fr

Publié le 05 novembre 2021

 

Quarante minutes de discours du président de la République, Emmanuel Macron, pour fixer un cap ; un après-midi à l’hôtel de la Marine afin de remettre du vent dans les voiles : l’industrie du tourisme, tout juste sortie de l’écueil de la crise sanitaire, a obtenu la confirmation, jeudi 4 novembre, d’une forme de retour en grâce politique. Son poids dans l’économie française – 7,4 % du produit intérieur brut, deux millions d’emplois directs et indirects – est apparu en pleine lumière depuis le début de la pandémie de Covid-19, mais la filière s’est longtemps sentie négligée, sans ministre de plein exercice pour la représenter ni stratégie lisible pour la faire croître.

Emmanuel Macron lors du congrès Destination France photo journal le monde

France’s President Emmanuel Macron gives a speech during the opening of the ‘Destination France’ summit in Paris, on November 4, 2021, in the aim to promote tourism. (Photo by GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

 

Si les milliards d’euros d’aides déversés au cours des dix-huit derniers mois l’ont consolée, la réception à l’Elysée la gonfle d’orgueil et l’annonce d’un futur « plan de reconquête du tourisme », qui sera dévoilé à la mi-novembre, la conforte, quand bien même de nombreuses voix dénoncent l’ordre des priorités et l’impréparation présumée du sommet Destination France comme du plan gouvernemental.

 

 

 

Les comparaisons abondent avec le « moment Fabius », lorsque le ministre des affaires étrangères de François Hollande s’était passionné pour le secteur, fixant un objectif de 100 millions de visiteurs internationaux annuels (le compteur s’est arrêté à près de 90 millions en 2019). « C’était la première fois depuis trente ans qu’un ténor de la politique s’occupait du tourisme », rappelle Dominique Marcel, président de la Compagnie des Alpes et de l’Alliance France tourisme, que composent les poids lourds du tourisme tricolore. « Le moment que nous vivons est une nouvelle occasion : les pouvoirs publics et les citoyens ont pris conscience que le tourisme était un enjeu essentiel pour notre économie et notre pays », ajoute-t-il.

 

Essentiel, mais de plus en plus friable, malgré des fondamentaux intangibles. La France ne manque jamais une occasion de se revendiquer première destination touristique mondiale, passant sous silence le fait qu’elle est nettement devancée par les Etats-Unis, et plus récemment par l’Espagne, pour ce qui est des recettes touristiques étrangères.

Ces dernières années, elle a cédé des parts de marché au profit de destinations en plein essor (Asie du Sud-Est, Dubaï, côtes dalmates ou turques), tandis que de plus en plus de Français ont passé leurs vacances et leurs week-ends à l’étranger, attirés par les vols à bas prix et une offre jugée plus concurrentielle et exotique. La centralité des aéroports parisiens et la position géographique de l’Hexagone, sur la route entre l’Europe du Nord et l’Espagne, pilier européen du tourisme de masse, gonflent artificiellement ses chiffres de fréquentation.

 

« On souffre d’un déficit d’image »

« La France est très bien armée, mais cela nous a valu de nous endormir. Avec Paris et la Côte d’Azur, comme en montagne, on vit sur une rente », estime Dominique Marcel, avant d’égrener la liste des points faibles et des dangers : accueil défaillant, rapport qualité-prix défavorable sur le milieu de gamme, durée trop courte des séjours, visiteurs de Paris se déplaçant peu hors de l’Ile-de-France, leaders nationaux mis à genoux par la crise, congrès et salons revus à la baisse – ce qui menace moins la capitale, incontournable, que les grandes villes de province ayant bâti leur formidable croissance touristique sur ces événements.

L’opérateur public Atout France en ajoute un, par la voix de sa directrice, Caroline Leboucher : « Le tourisme des jeunes. Les millennials européens [nés entre 1980 et 2000] qui ne sont jamais venus en France n’en font pas une destination privilégiée. On souffre d’un déficit d’image comparé à d’autres destinations comme l’Espagne, Berlin, la Croatie, où ils ont l’impression de pouvoir faire la fête davantage qu’en France. »

Ces difficultés, Emmanuel Macron n’a pas cherché à les dissimuler, jeudi, devant une quarantaine de dirigeants du secteur, dont une poignée d’entreprises étrangères (Airbnb, Expedia, Intercontinental ou TripAdvisor) ayant répondu à l’invitation de la France. Le chef de l’Etat a fait l’éloge du potentiel touristique du pays – infrastructures de transport, art de vivre, paysages variés, monuments et musées mondialement connus, festivals et compétitions sportives –, tout en déplorant qu’il ne soit pas pleinement exploité. « La France a ses atouts, ses faiblesses. Elle est prête à relever les défis. (…) En développant la synergie entre l’ensemble de nos atouts, on doit réussir à développer un modèle touristique porteur de beaucoup plus de sens, intégré sur nos territoires, beaucoup plus fin, qui développe des parcours et des expériences beaucoup plus profondes », a-t-il déclaré.

 

De l’émergence d’activités à la montée en gamme de l’hébergement, le gouvernement érige une priorité : « L’offre, l’offre, l’offre »

Traçant les grandes lignes d’un plan que le premier ministre, Jean Castex, détaillera à la mi-novembre, il a souligné l’importance du développement de la formation, alors que le métier connaît une crise de vocations ; de la rénovation des structures d’accueil et de l’adaptation des infrastructures de transport ; et de la mise en réseau, au niveau local, des acteurs éclatés du système touristique, de l’artisan au transporteur, en passant par l’office de tourisme et les hébergeurs. De l’émergence d’activités à la montée en gamme de l’hébergement, le gouvernement érige une priorité : « L’offre, l’offre, l’offre, insiste le secrétaire d’Etat au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne. On est dans un monde où les gens recherchent des expériences. »

 

Enjeu de réinvestissement

Pour cela, la France a d’abord besoin d’investisseurs prêts à parier sur le tourisme, et plus spécifiquement le sien. Après des années de croissance, l’investissement touristique est retombé de 25 % en 2020, à 12,4 milliards d’euros. Les banques demeurent frileuses vis-à-vis du secteur, et les fonds qui s’y intéressent ne sont pas légion. « Le problème majeur, c’est l’investissement de long terme, à la fois pour bâtir de nouveaux concepts, mais aussi pour maintenir une offre de qualité, relève Pascal Savary, président d’Atream, une société de gestion spécialisée dans l’hébergement touristique. L’offre sur certains types d’actifs est ancienne et mal entretenue. Mais dès que l’on refait des travaux, que l’on repositionne, ça marche. La demande est permanente, mais l’on manque d’offre de qualité, dans l’œnotourisme par exemple. »

Ce n’est pas l’argent qui manque ni les exemples de réussite pour des concepts autour du bien-être, de la gastronomie ou du sport. Cependant, les projets sont difficiles à faire émerger. Les élus locaux se disputent moins les nouvelles initiatives touristiques que les usines ou les zones logistiques. Les plans du siècle passé sont rejetés par les populations locales et font l’objet de recours en justice. La restriction extrême du foncier disponible, en raison des normes environnementales, conduit à des chantiers de réhabilitation plus longs que la construction.

Développer l’offre touristique rurale permettrait de répartir des flux touristiques au-delà de Paris et du littoral

L’enjeu de réinvestissement porte particulièrement sur les littoraux aquitain et languedocien, ainsi que dans les stations de montagne. Là, l’essentiel des structures remonte aux décennies 1960 et 1970, et le modèle des résidences de tourisme, arrivé à son terme, a vidé ces stations de leurs lits touristiques. « Construites à l’ère du tout-voiture et sur un modèle très saisonnier, ces petites stations n’ont pas été conçues pour fonctionner à l’année, constate Stéphane Durand, du cabinet de conseil Voltere by Egis. Sur les plans énergétique et fonctionnel, les bâtiments sont complètement obsolètes. »

Ailleurs, c’est sur le patrimoine – châteaux et manoirs – que pourrait porter l’effort d’investissement, alors que l’offre touristique rurale est particulièrement pauvre. La développer permettrait de répartir des flux touristiques au-delà de Paris et du littoral. Néanmoins, cela nécessite des efforts de promotion qui n’ont pas encore été déployés, et un maillage ferroviaire qui n’existe plus.

 

Une attente sociétale

A plus court terme, les acteurs mentionnent les problèmes de formation et de recrutement – alors que le gisement d’emplois dans le secteur est désormais évalué à près de 350 000 postes –, mais aussi de trésorerie. En effet, l’échéance de remboursement des prêts garantis par l’Etat se rapproche.

« Plus généralement, juge Franck Gervais, directeur général de Pierre & Vacances-Center Parcs, il y a un immense besoin de clarification et d’alignement stratégique. Aujourd’hui, on est dans le non-choix. On veut tout faire. Mais pour quelle raison souhaite-t-on que les touristes viennent en France ? Quelle est la stratégie marketing ? Cela ne suffit plus de mettre en avant la tour Eiffel. Tous les touristes disent rechercher des expériences authentiques et un impact positif. Il faut étoffer notre éventail là-dessus. »

Une attente sociétale dont Emmanuel Macron s’est fait l’écho, jeudi. Il désire faire de la France le leader d’un « tourisme durable sur le plan social et environnemental ». Le vœu peut sembler contradictoire avec la co organisation d’un sommet mondial, le WTTC (World Travel and Tourism Council), et l’invitation des plus grandes compagnies de croisières, que le gouvernement souhaiterait voir faire davantage escale dans les outre-mer. De même, l’hôtellerie rurale a pu s’offusquer en constatant les honneurs adressés à Airbnb, son premier concurrent, ou à Expedia, qui a considérablement rogné ses marges.

« Faire du durable et vouloir garder nos clientèles lointaines, c’est complètement schizophrénique compte tenu du poids du transport aérien dans les émissions de CO2 du secteur, s’agace Jean Pinard, à la tête du comité du tourisme d’Occitanie, la première région touristique française. Lorsqu’on se revendique première destination mondiale, on doit prendre nos responsabilités et consentir des sacrifices. Ne peut-on pas remplacer nos clientèles internationales par nos nationaux, y compris en allant chercher des touristes dans les classes les plus défavorisées ? Cette inégalité devant les vacances, on ne la traite jamais. »

 

Avant la crise due au Covid-19, les Français contribuaient pour 60 % à la consommation touristique dans le pays, une part qui a bondi en 2020 et 2021. Quant à ceux qui ne partent pas en vacances, leur proportion est stable depuis trente-cinq ans : près de 40 %, dans un contexte de décrépitude du tourisme social, lui aussi en manque d’investissement.

Clément Guillou

 

 

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