Note de lecture n°15 « Le tourisme en Europe, source majeure de contamination »
par Nathaniel Herzberg

Nathaniel Herzberg est journaliste au Monde.
Prix Kalvi de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) en 2019 (déjà remporté en 2015)
Publié le 03/06/2021
Un mois de juin marqué par une circulation virale particulièrement basse, des mesures de contrôles allégées, des transports aériens entre pays européens qui repartent à la faveur des congés estivaux, et une reprise épidémique à l’automne.
Prévision de prophètes de malheur pour la rentrée 2021 ? Non, juste l’observation détaillée, par une équipe d’épidémiologistes belges de l’université de Louvain et de l’Université libre de Bruxelles, des données de l’été 2020. L’article qu’ils ont publié, mercredi 30 juin, dans la revue Nature, montre en effet que l’essentiel des chaînes de contamination relevées à la mi-août dans dix pays d’Europe occidentale provenait de virus importés au cours des deux mois précédents. « Ce n’est pas une très bonne nouvelle, admet Simon Dellicour, épidémiologiste à l’Université libre de Bruxelles, un des deux coordinateurs de l’étude. Ça montre que, sur une période de temps relativement courte, un pays peut massivement réimporter des chaînes de transmission de l’étranger. »

Son laboratoire et celui de Philippe Lemey, à Louvain, font partie des meilleures équipes mondiales dans le suivi génomique des virus et de leur évolution. Dans cette étude, ils ont utilisé tout à la fois les données géographiques de circulation en Europe (voyages aériens, Google, Facebook) et les données génétiques issues des bases de séquençage pour reconstruire un arbre phylogénétique, autrement dit une cartographie dans le temps mais aussi dans l’espace de ces virus. « Ça nous permet de retracer l’histoire de la dispersion des différentes lignées virales », poursuit Simon Dellicour. Et donc des chaînes de contamination.
« Surpris par l’importance des importations »
Les chercheurs se posaient une question principale : dans la deuxième vague apparue à l’automne 2020, quelle était la part des virus déjà présents avant l’été et de ceux importés ?
« Nous avons été surpris par l’importance des importations », admet l’épidémiologiste belge. En effet, dans six des dix pays étudiés, plus de la moitié des chaînes répertoriées proviennent d’« événements d’introduction uniques », autrement dit d’entrées du virus dans les bagages, ou plutôt le système respiratoire des touristes. Belgique, Suisse, Pays-Bas, Royaume-Uni, Allemagne, Italie sont de ceux-là, avec des chiffres variant de 50 % à 75 %. « Ça montre l’impact majeur du parcours de personnes infectées sur la réorganisation d’une épidémie », poursuit Simon Dellicour.
En France, le chiffre est de « seulement » 25 %, un résultat que le chercheur explique par « la taille du pays mais aussi probablement par le fait qu’une proportion plus ou moins importante de Français reste en France lors des vacances d’été (par opposition à de plus petits pays comme la Belgique) ». Espagne et Portugal, eux, apparaissent surtout « exportateurs ».
Le virus n’entretient pas seulement des relations bilatérales. Certaines chaînes peuvent ainsi multiplier les passages de frontière. Les chercheurs ont notamment suivi le parcours de l’une d’elles d’Espagne vers le Royaume-Uni. Outre-Manche, cette lignée a connu un succès très rapide, établissant de nombreux foyers locaux dans le pays. Puis elle est repartie en voyage, pour essaimer vers d’autres pays, notamment la France.
Autre résultat majeur de l’étude : plus l’incidence locale était faible pendant l’été, plus l’importation a joué un rôle décisif dans l’alimentation de l’épidémie.
Ainsi s’expliquerait la relative résistance à l’importation de l’Espagne, du Portugal et de la France, soulignent les auteurs. Simon Dellicour l’explique par une image : « Dans une forêt en feu, craquer des allumettes ne change pas grand-chose ; en revanche s’il ne reste que quelques foyers, ça peut contribuer au redémarrage de l’incendie. »
« Protocoles stricts »
Toute ressemblance avec la situation présente serait-elle fortuite et malvenue ? Les chercheurs ne tentent pas de jouer les naïfs. Avec une incidence redevenue basse, l’envie des uns de voyager, des autres de relancer le tourisme, de tous de se libérer des masques et autres gestes barrières, les points communs ne manquent pas.
« Il y a deux différences majeures, insiste toutefois Simon Dellicour. L’une joue en notre faveur, ce sont les campagnes de vaccination, qui partout en Europe avancent à grands pas et protègent notamment les personnes les plus vulnérables. Mais l’autre nous est défavorable : ce sont les variants, et surtout le Delta, qui va inéluctablement devenir majoritaire. Où en sera cette course de vitesse entre vaccin et variant à la rentrée ? Nous l’ignorons et ce n’était pas l’objet de la recherche. »
L’article nous invite-t-il toutefois à limiter nos déplacements ? « Ce n’est pas notre rôle de dire qu’il faut empêcher les gens de voyager en Europe pendant l’été, conclut Simon Dellicour. En revanche, il faut assurément des protocoles stricts pour que, si les gens voyagent, le virus n’en fasse pas autant. »