Note de lecture n°29 : « Préoccupation écologique, crise sanitaire, quête de sens… Comment réinventer le voyage ? »
Par Valérie Sasportas
Journaliste, Grand reporter au service Culture puis chef de service du Figaro.fr
26 Septembre 2020
Voyager local est tendance. La pandémie de Covid-19 ne laisse guère le choix. Les frontières rouvrent et se referment au rythme de la crise sanitaire. On délaisse les long-courriers pour s’évader juste à côté. Dans ce contexte, la jeune start-up Staycation, dont le nom est la contraction anglaise de stay (« rester ») et de vacation (« vacances »), tire son épingle du jeu. « Nous avons fait ce pari parce qu’il était temps de penser un nouveau type de vacances, plus proche, plus immédiat, plus fréquent, et d’y ajouter un soupçon d’évasion dans nos quotidiens surchargés », explique Mathieu Dugast, l’un des trois cofondateurs en 2017.
Un demi-million de Français se sont laissé séduire. Sa formule permet de se dépayser à moins de deux heures de chez soi pour des séjours de 24 heures, clés en main, dans des lieux d’exception, 4-étoiles et 5-étoiles, et à des coûts réduits (295 € le week-end à deux à l’Hôtel du Louvre, à Paris, avec dîner, petit déjeuner et accès au musée, alors que le site de l’établissement affiche un tarif à partir de 350 € la nuit seule). La moyenne d’âge des amateurs est de 31 ans.
Avec cette clientèle de loisirs de proximité, l’hôtellerie change de paradigme, répond à l’injonction des grands professionnels : « Il faut réinventer le tourisme !». Combien le font vraiment ? À côté des spécialistes du sur-mesure, Les Maisons du Voyage et Marco Vasco (groupe Figaro), mais aussi Club Faune ou encore Eluxtravel qui, dès le printemps dernier, innovaient pour redéployer leur savoir-faire (nos éditions du 29 avril), de nouveaux acteurs proposent des solutions.
Expéditions en autonomie alimentaire
Entre préoccupations écologiques et crise sanitaire, ce sont des voyageurs avant tout en quête de sens, qui veulent plus d’éthique, d’équité, d’authenticité, jusqu’au bout du monde. Alors certains ont imaginé de nouvelles façons de voyager. Pendant le confinement, ils ont peaufiné leurs projets, dont l’idée avait germé souvent bien avant, et ont changé de métier pour devenir voyagistes. Ainsi, des passionnés de l’outdoor engagés pour la planète ont lancé Explora Project. En juin dernier, cette « société des nouveaux explorateurs » levait 2 millions d’euros grâce aux business angels de Xavier Niel, pour « déployer la vision d’un tourisme à impact positif pour l’homme et son environnement ». Le site détaille : «Explora est une agence d’un genre nouveau. (…) Ses expéditions de deux à quinze jours sont en autonomie d’énergie et de nourriture et à propulsion humaine ou animale.»
Stanislas Gruau, 31 ans, ancien trader, coureur de fond (il a battu le record de la traversée de la France en courant en 2011), en est le fondateur. Mike Horn est son modèle. Mais ses expéditions extraordinaires s’adressent à des personnes ordinaires. « J’ai imaginé cette agence en 2018 après dix ans dans la finance. Parallèlement, je faisais de l’ultra-endurance. J’y trouvais beaucoup d’énergie positive. Alors j’ai voulu aider les autres à se dépasser eux-mêmes. Explora, c’est une histoire personnelle qui croise un marché », raconte Stanislas Gruau.
Faire rayonner les producteurs
Parmi ses clients, Mathias a pu réaliser son rêve: vivre des nuits dans la neige et des jours à tracter une pulka, comme un explorateur polaire. Il est parti dans le Vercors. « Nous montons le camp à la lumière descendante du soleil. Quelles couleurs ! Je me sens soudainement dans une région polaire. Il ne manque plus que les aurores boréales. Je me rends compte, à ce moment, que plus je vais loin dans la nature, plus les couchers de soleil sont exceptionnels. Et ce fut le plus beau camp, selon moi », témoigne-t-il sur le site.
Explora Project va un cran plus loin qu’Evaneos, agence qui ne cache pas ses représentants locaux. « Nous sommes à la fois distributifs et réceptifs. Nos guides sont des prestataires avec lesquels on co-crée nos projets », souligne le jeune dirigeant. Chaque expérience est éphémère, son occurrence dépend de ses conséquences sur la faune et la flore, et de son impact social. « Le plus important est d’avoir compris l’enjeu. Nous ne sommes pas des énervés de la microaventure.» L’avion n’est pas banni. « De temps en temps, aller loin dans les meilleures conditions possibles, ce n’est pas grave. On peut rayonner du témoignage de vie. »
Sur la vague du tourisme bienveillant surfent de nouvelles plateformes collaboratives. Makeyourtripbetter met en lien directement les voyageurs et les habitants. À la recherche d’un simple service, passez votre chemin. « Nous demandons à chacun de s’inscrire en tant que l’un puis l’autre, et selon un système d’évaluation mutuelle », explique Olivier Gibouin, 43 ans, ancien directeur financier qui a lancé son concept cet été. « Je sentais qu’il y avait un besoin de plus d’humain, que nous devions sortir des écrans pour entrer dans la rencontre, en se téléphonant », raconte-t-il. Mais cette année est un peu difficile pour transformer une idée en action. « En partant en France, les gens ont reçu les conseils des cousins, des amis pour découvrir leurs régions. Ce que nous proposons, c’est de trouver l’équivalent de ces cousins et amis ailleurs », poursuit-il.