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Note de lecture n°17 : L’industrie touristique française sous COVID-19 « Le jour d’après »

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Par Luc Béal,

Directeur Tourism Management Institute, La Rochelle Business School

Nathalie Montargot,

Enseignant-Chercheur, La Rochelle Business School.

 

 

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Le rapport annuel 2019 de l’Organisation Mondiale du Tourisme compte 1,4 milliard de touristes internationaux dont la moitié sont reçus en Europe et plus particulièrement en Italie, France et Espagne, trois pays européens parmi les plus affectés par le coronavirus. En France, première destination au monde, la filière touristique est particulièrement impactée, alors qu’elle contribue à hauteur de 7 à 8 % du PIB et emploie de manière directe et indirecte 2 millions de personnes en 2018. Ce secteur se caractérise également en France par une forte concentration spatiale autour de quelques destinations, créant des phénomènes de surtourisme ayant pour conséquences dégradation de l’expérience touristique, surexploitation des sites et écosystèmes, et frustration des résidents.

 

Le déclenchement du confinement le 17 mars fut précédé in extremis par un exode massif d’environ 1 million de Parisiens, principalement à destination de l’arc atlantique. Ce déplacement massif déclencha quelques réactions de rejet motivées par la crainte d’une contamination, de la part de communautés dont l’économie dépend paradoxalement de ces visiteurs[1]. C’est désormais la quasi-moitié de la population mondiale qui est en confinement, l’aéroport d’Orly est fermé faute de trafic aérien, les restaurants ne sont plus autorisés à ouvrir, alors que les hôtels et autres hébergeurs affichent de très faibles taux d’occupation. Le gouvernement français tâche d’endiguer la faillite générale du système touristique français et déploie des dispositifs d’aides : généralisation d’à-valoir permettant de limiter l’effet des remboursements pour annulation de voyage ou de séjour, garanties bancaires, report de charges sociales et fiscales, garantie d’état au financement des besoins de trésorerie, etc.

 

Et après ?

Quels seront les comportements des consommateurs lorsque cette crise sanitaire aura pris fin ? Privilégiera-t-on les destinations de proximité, ou cherchera-t-on au contraire à oublier le confinement en s’offrant un voyage exotique ? Avec quelle rapidité les touristes vont-ils revenir ? L’industrie touristique est bien peu outillée pour prévoir cette demande…

 

Le spécialiste chinois de la distribution hôtelière Shiji a récemment publié une analyse pour le cas chinois de la reprise des réservations hôtelières et de restauration (figures 1 & 2 ci-dessous), consécutive à la stabilisation à partir du 17 février 2020 du nombre de cas COVID-19 comptabilisés en Chine.

Le distributeur fait le constat d’une reprise robuste des réservations hôtelières à partir du 1er mars, soit environ deux semaines après que le pic de contamination ait été observé. S’agissant des réouvertures de restaurant dans la province de Hubei (épicentre de l’épidémie), les chiffres semblent montrer une reprise timide décalée d’une semaine supplémentaire (8 mars), puis une nette accélération la semaine suivante, c’est-à-dire 1 mois après le pic. S’il est évidemment périlleux de tenter de calquer cette observation sur d’autres pays tels que la France, notamment en raison des importantes différences dans l’efficacité des confinements imposés (consentement social, appareil policier et technologique mis en œuvre, fiabilité des données publiées), ces observations incitent toutefois à un optimisme modéré pour les acteurs du tourisme, et en particulier les plus fragiles d’entre eux : les quelque 800,000 cafés et restaurants que compte la France, les 17000 hôtels, dont près des deux tiers sont de très petites entreprises, les 8000 campings, etc.

Cette analyse illustre par ailleurs l’importance qu’il y a pour les entreprises du secteur à disposer de données, analyses et projections leur permettant d’anticiper l’impact d’événements à venir sur leur activité, si anodins soient-ils. La météo annoncée pour le week-end prochain justifie-t-elle que je fasse venir des serveurs supplémentaires en extra et que je dresse des couverts en terrasse ? La clientèle belge de mon camping a-t-elle un calendrier scolaire différent cette année qui justifie que lance une campagne promotionnelle à leur endroit ? Y a-t-il cette année dans ma ville un nouvel événement susceptible d’attirer un surplus d’exposants et de visiteurs[4] (figure 3) ? Ces visiteurs viennent-ils de suffisamment loin qu’il est permis d’espérer un bond de réservations pour mon hôtel ?

 

Les acteurs de la filière touristique sont malheureusement pour leur majorité trop atomisée et de trop petite taille pour espérer se doter isolément d’une telle compétence. Il appartient donc aux fédérations, associations professionnelles et institutionnelles du tourisme de produire et mettre à disposition de leurs membres de véritables outils d’intelligence économique et de prospective de la demande. À défaut d’une telle prise de conscience par ces tiers de confiance[5], deux phénomènes vont inéluctablement structurer l’industrie touristique dans les années à venir : une intermédiation entre offre et demande par des plateformes internationales (Expedia, Booking.com, Abritel ou Airbnb pour l’hébergement, Deliveroo ou UberEats pour la restauration…) disposant des moyens financiers et technologiques pour analyser et prévoir la demande, leur conférant une rente significative sous la forme de commissions léonines prélevées sur des producteurs (restaurants, hôtels…) devenus incapables d’appréhender la demande.

 

Un autre effet à craindre est évidemment un surcroît de mortalité parmi les plus petits hébergeurs et restaurateurs, non seulement en raison des préjudices subis lors de la crise du coronavirus, mais également du fait de leur incapacité structurelle à appréhender seuls les fluctuations du niveau de la demande. Les acteurs de plus grande taille, de même que les réseaux de franchise (restauration rapide) et chaînes intégrées (hôtels…) pourront pour leur part continuer de se doter des technologies de traitement de données massives et d’intelligence économique (« business intelligence »), tout en disposant d’un pouvoir de marché suffisant pour négocier des conditions favorables avec les plateformes de distribution.

 

Une plateforme peut se définir comme un écosystème[6], dont l’objet est de produire de l’innovation, de créer des places de marché et de minimiser les barrières à l’entrée à de nouveaux acteurs. Dans le cas de l’industrie touristique, la place de marché idéale permet ainsi à un client d’accéder à coût nul à un catalogue d’offre virtuellement illimité, et offre simultanément à l’entrepreneur de précieuses informations sur la demande : quels produits ont le plus de succès, à quelle date les touristes belges commencent-ils à réserver leurs vacances d’été, quel niveau de demande peut-on attendre pour l’hôtellerie haut de gamme à La Rochelle à partir du 14 juillet, etc. ?

 

L’industrie touristique est aujourd’hui dominée par des plateformes proposant un service de mise en relation entre offre et demande moyennant une commission payée par le prestataire lors des transactions[7]. La stratégie de ces plateformes consiste naturellement à devenir le canal exclusif de vente, même en période de forte demande (vacances d’été, événement majeur…), moment où le prestataire pourrait aisément faire l’économie d’une commission en vendant directement son service au client. Pour ce faire, les plateformes consacrent de très importants budgets à l’achat de visibilité sur internet (plus de 4 milliards de dollars consacrés en 2018 à l’achat de visibilité sur le moteur Google[8]). À ce jour toutefois, les données massives accumulées par l’analyse des requêtes et transactions réalisées par les plateformes n’ont pas donné lieu à une mise à disposition d’outils de prévision de demande et d’aide à la décision pour restaurateurs ou hébergeurs[9].

 

Face à la crise inédite que nous traversons, de nombreuses instances professionnelles du tourisme sont venues en aide à leurs membres, notamment en obtenant du gouvernement aides et garanties financières. Afin de devenir de véritables animateurs de leurs écosystèmes, il leur faut aujourd’hui élargir leur mission à un rôle d’intelligence économique, afin de fournir à leurs communautés les outils d’analyse et de prévision essentiels à leur survie.

 

Sources :

 [1] Un « Parigo Home Virus » (Sud-Ouest, 17 Mars 2020)

 [2] https://www.shijigroup.com/insights/china-hospitality-retail-food-covid19-recovery-live

 [3] https://www.shijigroup.com/insights/china-hospitality-retail-food-covid19-recovery-live

 [4] Selon la fédération nationale des métiers de l’événement (UNIMEV : https://www.unimev.fr/), l’on compte en France chaque année 1200 salons et foires, 2800 congrès scientifiques et quelque 380,000 événements d’entreprises et institutionnels, attirant un total de 75 millions de visiteurs et générant environ 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et retombées économiques sur les destinations les accueillant (nuitées, repas…).

 [5] Lire sur ce point : « Comment les plateformes mettent la main sur le développement touristique des territoires »

 [6] Jacobides, M. G., Cennamo, C., & Gawer, A. (2018). Towards a theory of ecosystems. Strategic Management Journal, 39(8), 2255-2276.

 [7] Dans le cas d’Airbnb, la commission est à la charge du client.

 [8]  « Les chiffres clefs de Booking pour 2018 », ARTIREF

 [9] Une exception est l’outil de veille tarifaire proposé par Booking.com qui propose aux hôteliers de visualiser les prix fixés par leurs présumés concurrents pour les 2 semaines à venir (https://suite.booking.com/rateintelligence/)

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