Note de Lecture N°15 : Écrire à la main, ça fait du bien !
Écrire à la main, ça fait du bien !
Par Ségolène Barbé Journaliste
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Il est loin, le temps des pleins et déliés et des porte-plumes… En Finlande, depuis 2016, l’apprentissage de l’écriture cursive (les lettres «en attaché») n’est plus obligatoire pour les élèves de primaire; aux États-Unis, 45 États avaient également rendu cet enseignement optionnel en 2015, mais 14 d’entre eux ont fait machine arrière deux ans plus tard… L’écriture manuscrite, toujours enseignée à l’école, n’est pas morte. Mais elle est bel et bien ringardisée par l’utilisation des claviers, et de nombreux adultes ne prennent plus jamais un stylo en main.
L’écriture à la main est essentielle pour l’apprentissage des enfants, assurent les spécialistes. Selon l’étude menée en 2014 par la pédagogue Laura Dinehart, de l’Université Internationale de Floride auprès de 1000 écoliers de 4 ans, les enfants qui écrivent le mieux obtiennent des moyennes nettement supérieures en maths et en lecture. «La maîtrise de la calligraphie paraît associée à la capacité à s’autoréguler, contrôler ses émotions et mémoriser le travail effectué, autant de qualités très demandées à l’école», estime la chercheuse. Après avoir enquêté auprès de 200 élèves de CE1, CM1 et 6ème, la psychologue de l’éducation Virginia Berninger, de l’Université de Washington à Seattle, a conclu pour sa part que les enfants se montrent également plus créatifs lorsqu’ils écrivent à la main, formant alors des phrases plus complexes et des textes plus longs.
Ralentir le vieillissement du cerveau
Écrire à la main et taper au clavier n’activent pas les mêmes zones du cerveau. «Lorsqu’on écrit à la main, on se représente la lettre avant de l’écrire, puis on la reproduit grâce au mouvement de la main. Au clavier, le mouvement est à peu près le même quelle que soit la lettre: il suffit de retrouver l’endroit du clavier où taper… Sur le plan moteur et sur celui de la représentation mentale, ces deux façons d’écrire n’ont rien à voir», assure Jean-Luc Velay, chercheur au CNRS dans le Laboratoire de Neurosciences Cognitives de l’Université Aix-Marseille.
L’écriture manuelle nous oblige à nous remuer les méninges: il faut structurer ses idées, synthétiser, faire appel à sa mémoire, alors qu’au clavier, il suffit d’une seconde pour couper, copier-coller ou inverser l’ordre des paragraphes… «Prendre le temps de former ses lettres maintient le cerveau dans un niveau d’activité qui ralentit le vieillissement, affirme même le chercheur. C’est bénéfique sur le plan cognitif mais aussi sur le plan moteur: ce geste de l’écriture qu’on a passé beaucoup de temps à apprendre lorsqu’on était enfant demande un contrôle fin du mouvement des doigts et du poignet et permet d’entretenir sa dextérité manuelle, un peu comme le tricot ou le mikado…»
Communiquer de façon plus authentique
Saisir son stylo pour rédiger un petit mot, c’est aussi donner davantage de soi. Sur le papier, la main court moins vite que sur le clavier: elle flâne, elle hésite, elle prend son temps pour mieux exprimer la pensée, l’émotion, et imaginer celles qui saisiront peut-être notre interlocuteur en nous lisant. «On écrit moins de banalités à la main que sur un clavier, assure le linguiste Alain Bentolila. Je ne ferais jamais une déclaration d’amour par texto, pas plus que je ne choisirais ce mode de communication pour présenter mes condoléances à un ami qui vient de perdre sa mère.» Notre écriture nous est personnelle: elle nous révèle, nous trahit parfois, nous permet peut-être de communiquer avec les autres de manière plus authentique.
«La main apaise la pensée alors que la brutalité de la frappe a tendance à l’accélérer, à bousculer les pensées les unes avec les autres», poursuit le linguiste. Loin de la dictature des tweets en 140 signes, l’écriture manuscrite nous réconcilie avec une certaine lenteur, voire avec le plaisir d’écrire. Et malgré son goût pour les réseaux sociaux et les échanges sur What’s app, même la jeune génération garde une certaine tendresse pour notre bonne vieille écriture manuscrite: 75% des jeunes Français de 12 à 25 ans pensent que l’écriture avec un papier et un stylo est irremplaçable, 72% se sentent plus concentrés lorsqu’ils écrivent à la main et 69% se sentent également plus créatifs grâce à elle (étude Oxford/Ifop, août 2016)… À vos stylos!
L’écriture comme thérapie ?
J’écris ma vie pour mieux me connaître (Laure d’Astragal, Albin Michel, 2014), La courrier-thérapie (Elisabeth Horowitz, Jouvence, 2017), Écrire pour mieux vivre (Michel Le Brigand, Eyrolles, 2019)… Manière de mettre des mots sur nos maux, l’écriture thérapeutique inspire de plus en plus d’ouvrages qui nous incitent à jouer du stylo plutôt que de la souris. Une manière de se dévoiler davantage, de s’engager «corps et âme» dans l’acte d’écrire.