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Note de lecture n°12 : Davos, l’avenir du tourisme en question ?

photo de Matthieu Hoffstetter, journaliste au journal suisse Bilanlogo du journal suisse bilan

L’avenir du tourisme en question lors du dernier WEF à Davos

par Matthieu Hoffstetter, journaliste à Bilan.ch

Face aux enjeux environnementaux et notamment climatiques, le secteur du tourisme et des voyages est dans la tourmente. En dépit des innovations technologiques, la question de sa croissance effrénée se pose inéluctablement, comme le reconnaissent les acteurs réunis à Davos à l’occasion du World Economic Forum (WEF).

D’un côté le secteur des Cinque Terre en Italie qui a choisi de limiter l’accès à ses chemins côtiers et d’en faire payer l’usage afin de réduire les dégâts provoqués par les foules de touristes, ou la commune dont dépend la plage de La Pelosa en Sardaigne qui fait de même. De l’autre le flygskam (littéralement honte de voler, en suédois) qui pousse de nombreux jeunes engagés pour le climat à refuser de prendre l’avion afin de limiter la pollution générée par le transport aérien.

« […] si je regarde Barcelone, je ne peux qu’admettre que la ville a été envahie de flots de touristes […] »

Le tourisme de masse pose des défis majeurs à de nombreuses régions et villes à travers le monde. A Barcelone, l’exaspération de la population face aux flots de touristes a conduit la ville à limiter les capacités d’hébergement, en refusant notamment de nouveaux projets hôteliers. «Si je vois une destination comme Cochin en Inde, j’ai envie de la développer aussi pour que les habitants aient un job et une activité. Mais si je regarde Barcelone, je ne peux qu’admettre que la ville a été envahie de flots de touristes et les autorités ont décidé de limiter les capacités d’accueil», reconnaît Arne Sorenson, président et CEO de Marriott International.

L’impérative réduction des émissions de CO2

Face aux enjeux du tourisme de masse, les acteurs du secteur sont tiraillés. « Les gens voyagent de plus en plus. En 2030, 1,8 milliards de voyages internationaux sont attendus, soit le double de 20 ans plus tôt. D’un côté je dois dire que le tourisme a des effets positifs : pour les entrepreneurs locaux et la rencontre des cultures. D’un autre côté, les consommateurs sont de plus en plus conscients de l’impact environnemental des voyages. Booking a pour mission de donner à chacun la possibilité de découvrir le monde, mais la durabilité est inscrite comme l’un de nos piliers», constate Gillian Tans, présidente du conseil d’administration de Booking.com. Un dilemme qui n’est pas nouveau, les effets négatifs du tourisme étant connus depuis des décennies, mais qui devient de plus en plus crucial à l’heure où la réduction des émissions de gaz à effet de serre devient urgente.

Car c’est bien le dossier de l’impact CO2 des voyages qui se retrouve au cœur de la problématique. Avec notamment la croissance extrêmement forte du transport aérien depuis trois décennies. « Voici quelques décennies, seuls quelques privilégiés pouvaient voyager à travers la planète. Aujourd’hui, des millions de personnes peuvent aller à la rencontre des autres peuples et des autres cultures. Il ne faut pas oublier cet apport de l’aviation. Cependant, il ne faut pas se voiler la face : le plus grand défi est le CO2. Nous avons remplacé les véhicules thermiques par des électriques au sol, mais c’est peu à côté des enjeux des avions. Nous faisons face à un dilemme : trop de touristes et de visiteurs dans certains sites d’un côté, et de l’autre comment rendre le voyage accessible et jusqu’à quel point ? Et si nous voulons atteindre des objectifs de durabilité, comment est-ce que ce sera possible sans limiter notre croissance ? A mon sens, nous ne pourrons pas avoir les deux. Si on veut un tourisme plus vert et durable, les voyages seront plus chers. Est-ce que tout le monde est prêt à l’accepter ? Nous pensons que nous n’aurons pas le choix », avertit Carsten Spohr, président et CEO de Lufthansa.

Au sein de la compagnie allemande, chaque passager génère en moyenne un profit de 10€. Mais les coûts de carburant par passager s’élèvent en moyenne à 40€. Dans un souci de durabilité et de responsabilité, la compagnie aérienne allemande a introduit récemment la possibilité pour chaque passager de payer pour que le carburant lié à son transport soit issu de bio-carburants, lesquels sont cinq fois plus chers pour Lufthansa que les carburants fossiles traditionnels. Or, « sur 400’000 passagers transportés sur nos 800 appareils, seuls 23 ont payé cet extra. Je ne blâme pas les passagers, mais cela nous force à réaliser que la volonté de rendre les voyages plus durables constituera un surcoût et touchera la croissance », ajoute Carsten Spohr.

La philosophie du tourisme lointain à questionner

Un très faible engagement des clients qui contraste pourtant avec leur volonté affichée de tenir compte des enjeux environnementaux. Ainsi, Booking.com a mené des études auprès des internautes qui utilisent les services de la plateforme de réservation : «50% des clients savent comment faire des choix durables, et 55% envisagent leurs choix de voyage en tenant compte de ces éléments de durabilité. On voit ces pourcentages augmenter et nous avons beaucoup de questions de clients qui demandent comment mieux effectuer leurs choix. Nous sommes aussi très engagés auprès des entrepreneurs locaux pour les aider à répondre à ces demandes », glisse Gillian Tans.

Au-delà de la volonté affirmée des consommateurs mais de leur faible action quand l’opportunité leur est donnée, c’est une philosophie globale de la société qui est dans le viseur. «Il faut se poser la question de cette mentalité qui nous pousse à découvrir impérativement des destinations lointaines et exotiques. Nous pourrions encourager le tourisme de proximité, avec des lieux que les touristes délaissent car on promeut la nouveauté au lieu de promouvoir l’héritage, l’artisanat, la redécouverte des trésors cachés. Il faut « décoloniser » le tourisme, sortir de l’idée que les destinations incontournables sont Paris, New York et Londres. Pour les gens du Moyen-Orient, il y a des destinations sublimes à leurs portes, de Petra en Jordanie à Oman en passant par l’Arabie saoudite qui s’ouvre au tourisme. Nul besoin de prendre l’avion pour aller dans un hôtel à l’autre bout du monde, on peut aussi se rendre en train ou en voiture dans des destinations régionales», suggère Reem Fadda, directrice du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi.

Cependant, si le tourisme exotique et lointain focalise l’attention, le tourisme indigène est largement majoritaire. « Si on fait abstraction des très riches, qui voyagent énormément sur de longues distances, le tourisme local et régional est déjà très important. Aux USA, 95,5% des nuitées sont des nuitées domestiques, seuls 4,5% sont le fait d’étrangers. Dans notre hôtel de Shanghai, la ville la plus internationale de Chine, 80% des nuitées sont le fait de Chinois », tient à souligner Arne Sorenson.

La technologie ne suffira pas

Dès lors, comment réduire l’impact carbone du secteur ? Comme dans de nombreux autres domaines, certaines voix assurent que l’innovation technologique permettra de résoudre le dilemme. Un avis que ne partage pas Carsten Spohr : « La technologie peut nous aider. Chaque nouvel appareil que nous faisons entrer dans notre flotte réduit l’impact carbone par passager de 25%. Et nous avons un nouvel appareil tous les dix jours en moyenne. Mais il faut reconnaître que la croissance du secteur du voyage a dépassé les gains enregistrés par les investissements dans des appareils plus sobres et moins polluants. Il faut faire appel à la technologie autant que possible, mais je doute que ça suffise à combler la différence engendrée par la croissance du secteur et donc la pollution supplémentaire ». Quant à l’avion électrique, il ne constituera à terme qu’un appoint : le poids des batteries et leur autonomie ne permettront d’équiper que des appareils de taille réduite et à rayon d’action limité. « Il n’y a pas encore d’innovation en vue qui compenserait le fait qu’une batterie est 50 fois plus lourde que le volume de carburant fossile qui permet de parcourir une distance similaire. Un Airbus qui va de Francfort à Hong-Kong transporte une centaine de tonnes de fuel, il suffit de faire le calcul pour le poids de batterie pour se rendre compte que c’est illusoire », précise le patron de Lufthansa.

La technologie n’est cependant pas à rejeter. Pour faire face aux défis environnementaux, tous les apports sont précieux. « Il y a de nombreux exemples qui montrent que la technologie peut nous aider. Par exemple avec des douches qui utilisent moins d’eau, des détecteurs de présence pour l’éclairage… Nous aidons et conseillons les hôtels à implémenter ces solutions », mentionne Gillian Tans. Pour Arne Sorenson, impliquer le client dans les choix constitue également un axe de réflexion : « Je suis convaincu que les clients préfèrent avoir des services plus durables et responsables. Nous pouvons aussi miser sur eux pour leur donner la possibilité de faire des choix responsables, comme cela est désormais généralisé avec les lavages superflus des linges en cours de séjour. Il faut cependant faire attention à la manière d’amener ces choix car lorsque les gens voyagent, ils ne veulent pas être noyés sous des questionnements constants et des recommandations incessantes. Il faut trouver la solution médiane pour faciliter ces choix ».

Des clients et des données

Et tenir compte des différences culturelles. Ainsi, même au sein des pays développés, les consommateurs ont des approches différentes du sujet. « J’ai été alerté par un client en début d’année qui m’a envoyé la photo de plastiques à usage unique totalement superflus à côté de la machine à café dans son hôtel près d’Amsterdam. Il avait raison. Ceci étant, il y a des différences culturelles : un client américain exigera des pailles tandis qu’un client européen verra cela comme superflu et néfaste à l’environnement. Nous devons en tenir compte mais notre rôle est alors de proposer des alternatives comme des pailles en papier. Une de nos missions en tant qu’acteur majeur est de faire en sorte que nos hôtels soient débarrassés de tous les plastiques à usage unique », note Arne Sorenson.

Au niveau des grands groupes internationaux comme le sien, disposant de centaines d’établissements à travers le monde, une vaste réflexion doit être engagée. Mais pour avoir une action efficace, il faut s’appuyer sur des données solides et choisir les stratégies qui auront le plus d’impact. « Nous avons lancé une campagne qui doit permettre de mesurer l’impact environnemental de chaque établissement du groupe et du groupe lui-même. C’est sur la base de ces données que nous pourrons fixer des objectifs ambitieux, pour cette année et les suivantes. Nous devons investir dans les instruments de mesure pour savoir où faire les choix avec le plus d’impact ».

Au-delà de ces stratégies, certains acteurs se résignent déjà à envisager des jours moins florissants. « Au niveau du tourisme, il faudra peut-être tourner le dos à cette croissance aveugle dont nous avons profité ces dernières années dans certaines régions et villes du monde. L’aviation a connu un rythme de croissance double de celui de l’économie mondiale ces dernières années. Ce ne sera pas conciliable avec les enjeux environnementaux actuels », reconnaît Carsten Spohr. Sans prononcer le mot de décroissance, mais en acceptant de faire face aux enjeux de long terme.

Matthieu Hoffstetter https://www.bilan.ch/ 24. Janvier 2020

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